Revoir "Woodstock", c'est être étonné, captivé par la modernité du tournage et du montage, la qualité de l'image, dans les conditions les plus difficiles... Au-delà, réussite évidente de cette multi-narration, multi-mise en scène jouant avec dextérité de l'écran multiple, d'une mise en images subtile de la rythmique (un certain Martin Scorcese a participé au montage).
Woodstock, c'est l'Histoire qui un instant déferle. L'émergence, la submergence de la jeunesse américaine des années 60. "We come over". "Nous prenons le pouvoir", clame une jeune fille. Illusion et réalité. C'est ça Woodstock. Une migration joyeuse, génarationnelle, bien au-delà du "flower power", ou du "summer of love" (qui fleurent bon le marketing).
La force de "Woodstock", le film réside dans son objectivité. L'équipe de Wadleigh (5 cameramen au générique), semble être partout Ils captent la scène (non, je ne l'ai pas oubliée), les performances plus ou moins intenses, le "backstage" rustique, l'immensité du public (quasi impossible à filmer), et de multiples échos visuels, sonores, qui tous contribuent à la fluidité de ce long témoignage.
La musique, alors... les groupes, omniprésents, de jour, de nuit. Même les moins brillants semblent transformés, portés par cet événement impossible qui se crée sous leurs yeux. Woodstock les dépasse, Woodstock les amène à se surpasser. Qui retenir ? Santana (pourtant pas ma tasse de thé), avec en particulier la performance du batteur Michael Shrieve, Jefferson Airplane (surtout : Grace Slick), porte-parole du psychédélisme West Coast, le "Going home" de Ten Years after, et, bien sûr Jimi Hendrix, qui clôt avec "The Star spangled banner" les "3 jours de musique, d'amour et de paix", à l'aube du lundi 18 août, devant environ 50 000 personnes. Bien vu que ce soit lui qui clôture, tellement sa musique torturée, distordue, et pourtant à base de ce bon vieux blues, a des foulées d'avance sur les groupes de Blues-rock, Pop-Rock, Néo-country ou Folk qui l'ont précédé. Une exception amusante : "Fly and the Family Stone", apparition black incongrue. Glitter, pas de danse souples et sautillants, choriste élégante à perruque, c'est un autre monde qui s'empare avec fougue de la scène, s'incruste dans la révolution pacifique... et blanche.
Le pacifisme, la patience des 450 000 jeunes rassemblés là, nulle part, sous la pluie sporadique, disposant d'aucune commodité et de peu de ravitaillement, 3 jours durant, ont frappé les contemporains, qui s'attendaient à bien pire. Rappelons qu'au-delà de l'enceinte de Woodstock, les années 60 sont peu "peace and love" en Amérique, qu'elles se déroulent sur fond de guerre froide, de Guerre du Vietnam, de contestation "blanche" ou "noire" parfois violente, et de répression assez impitoyable.
"L'esprit de Woodstock" s'est créé de lui-même, par aggrégation d'espérances, d'un bout à l'autre du pays. Il a existé. Fugace, sans doute, irradiant les années à venir, avant de s'effacer. Marquant les mémoires, sans changer l'Histoire.
Il en reste un film qui, dans sa conception, comme sa réalisation, n'a pas pris une ride. Ce qu'on ne saurait dire de l'ensemble de la production des années 70...
Thierry Follain
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