22 août 2007

"Woodstock", le film d'une époque

A événement-fleuve, à fleuve humain, film-fleuve : "Woodstock", sorti en 1970, un an après le festival, complété par le "director's cut", en 1994. Plus qu'un film "de concert", un témoignage multiple, objectif sur l'ultime vague d'espérance des années 60. Un moment historique, musical et social capté avec talent.


Revoir "Woodstock", c'est être étonné, captivé par la modernité du tournage et du montage, la qualité de l'image, dans les conditions les plus difficiles... Au-delà, réussite évidente de cette multi-narration, multi-mise en scène jouant avec dextérité de l'écran multiple, d'une mise en images subtile de la rythmique (un certain Martin Scorcese a participé au montage).

Woodstock, c'est l'Histoire qui un instant déferle. L'émergence, la submergence de la jeunesse américaine des années 60. "We come over". "Nous prenons le pouvoir", clame une jeune fille. Illusion et réalité. C'est ça Woodstock. Une migration joyeuse, génarationnelle, bien au-delà du "flower power", ou du "summer of love" (qui fleurent bon le marketing).

C'est un peu idiot à dire, mais ces 400 000, 500 000 personnes sont vraiment... jeunes. Une jeunesse d'une autre époque, guidée par des idéaux confus, non matérialistes (à Woodstock, ça valait mieux !), portée par une croyance dans l'innocence, la spontanéité des relations , une possible société égalitaire, la révélation du corps. Ca s'appelle une utopie (sauf que là, c'est précisément en un lieu). Elle a drainé vers un champ progressivement détrempé par la pluie pas loin d'un million de garçons et de filles, si on compte celles et ceux qui n'ont jamais pu approcher. Cette foule nomade, juvénile, a transcendé un supposé bon plan du show-bizz en un manifeste vivant, éphémère.


La force de "Woodstock", le film réside dans son objectivité. L'équipe de Wadleigh (5 cameramen au générique), semble être partout Ils captent la scène (non, je ne l'ai pas oubliée), les performances plus ou moins intenses, le "backstage" rustique, l'immensité du public (quasi impossible à filmer), et de multiples échos visuels, sonores, qui tous contribuent à la fluidité de ce long témoignage.

La musique, alors... les groupes, omniprésents, de jour, de nuit. Même les moins brillants semblent transformés, portés par cet événement impossible qui se crée sous leurs yeux. Woodstock les dépasse, Woodstock les amène à se surpasser. Qui retenir ? Santana (pourtant pas ma tasse de thé), avec en particulier la performance du batteur Michael Shrieve, Jefferson Airplane (surtout : Grace Slick), porte-parole du psychédélisme West Coast, le "Going home" de Ten Years after, et, bien sûr Jimi Hendrix, qui clôt avec "The Star spangled banner" les "3 jours de musique, d'amour et de paix", à l'aube du lundi 18 août, devant environ 50 000 personnes. Bien vu que ce soit lui qui clôture, tellement sa musique torturée, distordue, et pourtant à base de ce bon vieux blues, a des foulées d'avance sur les groupes de Blues-rock, Pop-Rock, Néo-country ou Folk qui l'ont précédé. Une exception amusante : "Fly and the Family Stone", apparition black incongrue. Glitter, pas de danse souples et sautillants, choriste élégante à perruque, c'est un autre monde qui s'empare avec fougue de la scène, s'incruste dans la révolution pacifique... et blanche.

Spectateurs du film, nous bénéficions d'une image et d'un son parfaits, voire plus-que-parfait. Je doute que c'ait été le cas de la majorité du public (je ne parle même pas de "voir" les musiciens !). Pas mal de scènes se situent en marge du "festival". L'un des thèmes esquissé est celui de la nudité, de la possible débauche ( peu favorisées par les conditions atmosphériques). L'un des "civils" interrogés s'indigne : "Des gamines de 15 ans qui campent dans les champs !". Et qui sortent nues des tentes, qui se baignent nues dans un étang, avec des garçons en plus. Mais c'est la nudité des années 60-70, avant que des modèles plus ou moins irréels soient imposés par la déferlante médiatique et numérique. "Hippie chicks" ou pas, les filles de Woodstock découvrent la liberté. Elles sont parées avant tout de leur jeunesse (celle qui figure plus haut, en noir & blanc, me semble un brin sophistiquée pour l'occasion).

Le pacifisme, la patience des 450 000 jeunes rassemblés là, nulle part, sous la pluie sporadique, disposant d'aucune commodité et de peu de ravitaillement, 3 jours durant, ont frappé les contemporains, qui s'attendaient à bien pire. Rappelons qu'au-delà de l'enceinte de Woodstock, les années 60 sont peu "peace and love" en Amérique, qu'elles se déroulent sur fond de guerre froide, de Guerre du Vietnam, de contestation "blanche" ou "noire" parfois violente, et de répression assez impitoyable.

"L'esprit de Woodstock" s'est créé de lui-même, par aggrégation d'espérances, d'un bout à l'autre du pays. Il a existé. Fugace, sans doute, irradiant les années à venir, avant de s'effacer. Marquant les mémoires, sans changer l'Histoire.

Il en reste un film qui, dans sa conception, comme sa réalisation, n'a pas pris une ride. Ce qu'on ne saurait dire de l'ensemble de la production des années 70...

Thierry Follain


Photos : Consigliere



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