10 mars 2007

War songs

Ultime opéra rock symphonique, "The Wall" est hanté par la Deuxième Guerre mondiale, qui fit de Roger Waters, futur parolier, compositeur et bassiste de Pink Floyd, un précoce orphelin. Dans "Vera", Waters évoque Vera Lynn, figure féminine étroitement liée aux années de raids aériens, de fer et de sang :

" Does anybody here remember Vera Lynn ?

Remember how she said that

We would meet again

Some sunny day ? "

Agée d'à peine 23 ans au déclenchement de la guerre, Vera Lynn devint, par son émission "Sincerely yours", ses visites d'hôpitaux, ses concerts aux armées en Birmanie, "la chérie (l'Ange) des Forces armées".

En 1942, elle enregistra "We'll meet again", qui évoquait les amours séparées, l'incertitude des retrouvailles, l'attente de l'harmonie de la paix retrouvées :

" Continue de sourire

Comme tu le fais toujours

Jusqu'à ce que le ciel bleu chasse les sombres nuages

Dis bonjour de ma part

à mes copains

Dis-leur que je reviendrai bientôt,

Et ils seront heureux de savoir

que je chantais cet air

Quand tu m'as vu partir "

"We'll meet" accompagna les combattants britanniques, leurs familles et leurs bien-aimées jusqu'à la fin du conflit, dont elle devint l'hymne officieux.

Les soldats allemands, quant à eux, s'emparèrent de "Lili Marleen", bluette nostalgique créée par Lale Andersen en 1938, finalement "lancée" par la Radio militaire de la Wehrmacht à Belgrade, en 1942. Là encore, une femme s'appropriait et chantait la tristesse d'un homme, d'un combattant.

Adaptée d'un texte d'Hans Leip, écrit lors de le guerre précédente, en 1915, "Lili Marleen" est construite autour de l'image d'un lampadaire à l'entrée d'une caserne. Le narrateur retrouvait là sa bien-aimée, mais, guerre oblige, il ont été séparés...

Demeure la lanterne :

" Elle connaît tes pas

Ta démarche élégante

Tous les soirs, elle brille,

Mais elle m'a oublié depuis longtemps

Et s'il devait m'arriver malheur

Qui se trouverait sous la lanterne

Avec toi, Lili Marleen ?.. "

Pas de quoi vous inciter à monter à l'assaut, n'est-ce-pas ? C'est bien ce que pensa le régime nazi, qui tenta d'interdire "Lili Marleen", comme le montre Fassbinder dans le film éponyme.

Seulement voilà, on peut asservir, détruire des peuples et des êtres, mais pas des chansons…

Les soldats alliés s'emparèrent à leur tour de "Lili Marleen". Le Gouvernement de sa Majesté ordonna la création d'une version anglaise qu'interprétèrent Vera Lynn, of course, et Anne Shelton.

Le "Lili Marlene" anglais abandonna l'ambiance romantique et impressionniste germanique.

La strophe traduite plus haut devint :

" L'ordre vint de prendre le large

pour ailleurs, loin d'ici,

Etre confiné dans cette caserne

était plus que je ne pouvais en supporter

Je savais que tu attendais dans la rue

J'entendais tes pas

Mais ne pouvais te retrouver,

Ma petite Lili du Réverbère,

Ma Lili Marlène à moi ".

Oui, bon…

Interprète la plus célèbre, Marlene Dietrich n'enregistra la chanson qu'en 1944.

Star, elle eut droit à sa propre version.

Ce qui donna :

" Donne-moi une rose pour me montrer combien tu tiens à moi,

attachée à la tige, une boucle de tes cheveux dorés

Sûrement, demain tu auras le blues

Mais alors viendra un nouvel amour,

à toi, Lili Marleen,

vers toi, Lili Marleen ".

Plus glamour, indeed.

Revenons au double album "The Wall". Lorsqu'il sortit, en 1979, la Deuxième Guerre mondiale était vieille de 34 ans. Celle du Vietnam s'était achevée 4 ans plus tôt. Confrontation délirante, ravageuse, elle fit s'affronter un peuple asiatique sous la férule d'un gouvernement communiste et la technologie, les enfants égarés d'une grande puissance matérialiste, impérialiste. Elle conclut le triste cycle initié en 1939.

La décomposition qu'entraîna ce conflit dans la société et l'âme américaine est rendue, puissance 10, dans le magistral "Apocalypse now" de Francis Ford Coppola, sorti lui aussi en 79. On y voit cette nouvelle génération de soldats, jeunes péquenots ricains paumés, plongés dans l'enfer pour un an, tenant à coup de "H", de rock et de "LSD".

Dans le film, les spectacles dispensés aux soldats perdus dans la jungle sont de véritables shows hollywoodiens, avec créatures dénudées, déluge de décibels et pyrotechnie… Oubliées, les suaves marraines de guerre !..

"Chevauchées des Walkyries" mise à part, la BO d'"Apocalypse now" reflète ce qu'écoutaient les GI's harassés dans leur walkman. On passe d'"I can't get no satisfaction" des Stones à l'adéquat et crépusculaire "The End" des Doors, en passant par "Surfin' Safari" des Beach Boys, évocateur d'un paradis perdu.

Mais le symbole musical de la Guerre du Vietnam, c'est avant tout l'interprétation torturée de "The star spangled banner", l'hymne américain, par Jimi Hendrix, au Festival de Woodstock, apogée, en août 1969, de la contestation festive, hédoniste et pacifiste.

Portés, transportés par l'acide, le LSD ingurgité sans la moindre modération, Hendrix et son groupe émergèrent sur scène le lundi matin, alors que ces "trois jours de paix, de musique et d'amour" appartenaient déjà à l'histoire, ainsi que le "flower power" qui les avait suscités. Les accords vibrants, lancinants distordus, arrachés à sa guitare par l'ancien parachutiste de la "101th Airborne", marquaient la fin d'une époque qui avait revendiqué l'innocence.

J'ignore ce qu'écoutent les GI's pris aujourd'hui dans le guêpier irakien (courtesy of Georges W. Bush)... Mais, c'est bien connu, la nostalgie n'est plus ce qu'elle était...

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