15 octobre 2007

Le grand voile bat comme une aile

Au corps réel, surchargé d'étoffes et de bijoux, de la femme berbère ou kabyle traditionnelle, le regard occidental substitua le fantasme d'un corps odorant et barbare dénudé, paré d'argent, d'or et de pierreries. Voyageurs et artistes se trouvèrent pris dans l'inextricable contradiction entre un ordre ancien qui dissimulait le corps, mais affichait de multiples codes, et leur propre désir, en quête d'immédiate accessibilité.

Dans Les Coquelicots, Léon Comerre met en scène une jeune danseuse au corps ferme et voluptueux, vêtue d'un haut doré que ne renierait pas une adolescente contemporaine, et d’une jupe, ou plutôt d’une étoffe lamée, chamarrée, savamment drapée sur ses hanches généreuse, le triangle des hanches et du pubis étant marqué par le croisement de bandes de tissus. La bijouterie berbère intervient par touches sur ce corps luxurieux : bracelet cylindrique argenté au bras droit, bracelets dorés niellés au bras et au poignet gauches. Jumelles des seins pressés par l'étoffe, des fibules rondes ferment la croisée de la jupe. Conséquents, les fameux coquelicots, également au nombre de deux, ornent l'épaisse chevelure de jais, en harmonie avec la bouche petite, écarlate et pleine. La jeune femme tient un tambourin à la main droite. La musique et la danse – vraisemblablement du ventre – ne vont pas tarder à se déchaîner…


Comme l’illustre cette toile, les peintres orientalistes furent séduits par la "barbare" joaillerie berbère. Ils y lurent une "invitation au voyage" loin des femmes occidentales corsetées vêtues de pauvres couleurs, ils y virent des parures destiné à un corps libéré, dénudé, ou pour le moins révélé.

De nos jours, encore, la massive beauté de la bijouterie berbère attire et fascine par son exotisme, sa pesanteur, son évocation fantasmée d'un monde voluptueux, barbare, pris dans un jeu ambigu de contrainte, de liberté, de sensualité et de soumission. (...)

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