1 novembre 2009
Dominique, par Thierry Follain
Un dimanche d’automne à Evreux,
enfin, près d’Evreux,
dans un pas si grand ensemble d'immeubles modestes et convenables,
un peu loin de tout,
les quelques boutiques fermées,
le mail désert,
les parcelles plantées
lavées, délavées
par la pluie,
la pluie sur tes carreaux,
la pluie sur les bois proches,
la pluie sur ce désert,
la pluie au dehors
et en toi,
un dimanche à Evreux,
rien de spécial à faire,
limer tes ongles,
rincer ce pull mousseux,
ranger la cuisine,
lire la pile de magazines,
ce bouquin d'Anne Gavalda,
par terre,
te demander si c’est cela,
vivre à vingt-six ans,
seule dans un F2,
près d’Evreux,
loin de chez toi,
loin de tout,
un dimanche d’automne pluvieux
dans la pluvieuse Normandie,
peut-être, tout à l’heure,
dans ta Twingo réticente au démarrage,
un tour en ville,
enfin, dans le centre-ville
désert d’Evreux,
un cinéma,
un film d’ailleurs,
puis un sage chocolat dans un café bondé,
les yeux des garçons souvent fixés sur toi,
leurs regards qui se détournent lorsque tu les considères
sans invite,
car tu ignores ce qu'il y a de soi,
ce qu'il y a de soie en toi,
puis, demain le boulot terne,
tes " collègues " plus âgés
dans leurs années ou dans leur tête,
un dimanche pluvieux
loin de chez toi,
dans la pluvieuse Normandie.
Bientôt, sortir le labrador
qui s’ennuie,
le balader dans les bois mouillés,
taillis sans gloire dépouillés par l'automne glaçant,
tremper tes chaussures citadines,
puis rentrer,
allongée sur ton lit,
tu écrases ta cigarette,
ouvre ton peignoir,
te caresses, les yeux ouverts, les yeux fermés,
en songeant à une étreinte sauvage,
avec un garçon qui n’a pas vraiment de visage,
et pas de nom,
tu jouis un peu, malgré toi,
souvenir d'extases passées sous le soleil de Mykonos,
puis tu te retournes,
sur ce ventre qui vibre encore, rayonne en toi,
déjà insatisfait,
en quête de plus de jouissance,
de plus de raideur,
de plus de chaleur,
tu enfouis ton visage dans l’oreiller,
tu soupires,
et tu pleures,
et la pluie tombe,
frappe et sillonne les carreaux,
grave le message des nuages pesants, incessants,
sur ta chambre, près d’Evreux,
puis se mue en un crachin infini,
incessant et ténu comme l’ordinaire
ennui,
tu t’assoupis, tu t’endors,
dans les senteurs de ton corps, de l’oreiller, de tes cheveux,
tu occultes le bruit, la télé des voisins,
rituelle célébration d’un dimanche de novembre
dans la pluvieuse
Normandie.
Tu te réveilles vers cinq heures,
il fait quasiment nuit,
Ami tourne en rond et gémit,
pose sa tête, regard suppliant,
sur le bord du lit,
lui au moins sait ce qu'il veut,
tu le caresses et souris,
un peu nauséeuse,
tu t’habilles,
une chemise, un jean,
des chaussettes et
ces chaussures si peu faites pour la pluie,
un gilet noir dans lequel tu t’enfouis jusqu’au menton,
un bonnet,
tu mets ton imper,
sors avec le chien réjoui,
jappant, griffes crissantes,
haletant,
trois étages par l’escalier blême,
le hall humide,
le chemin cimenté,
la route qui tourne à traverser,
le tissu rêche frotte ton sexe, le maintient en éveil,
sensation pas désagréable,
perception chaude, voluptueuse,
humaine,
alors que tu marches sous la pluie fine,
le bois humide, odeurs mêlées de feuilles,
de tristesse et de
décomposition,
silex cachés qui heurtent, tordent les pieds,
il aime bien cela, le chien,
qui court, furète,
vire et virevolte,
un instant, tu envies sa joie primale,
animale,
une cigarette amère à la main,
tu le suis,
il y voit sans doute plus clair que toi,
pour récupérer les bâtons que tu lances,
alors que pèse le ciel de pluie,
d'une fin hâtive d'après-midi,
le ciel de Normandie.
Tu songes à des vacances,
à une autre vie,
un autre pays,
tu songes à des étreintes,
à des tendresses
effacées,
écoulées,
envie de dormir,
et tu n’as rien fait de la journée,
envie de rentrer,
d’appeler Monica,
entendre sa voix chaude,
suivre distraitement ses histoires de coeur compliquées,
être écoutée,
consolée,
tu siffles le chien,
enfin, tu essaies,
et tu rentres avec lui,
alors que le brouillard naissant
dépose un halo orangé sur les rares lampadaires.
Dans le hall, tu ôtes ton bonnet humide,
lâches tes cheveux d’un mouvement gracieux,
ouvre ton manteau,
salues une famille de retour du
cinéma,
l’adolescente te sourit,
le père te suit des yeux, avidement,
sa femme blêmit…
pourrais-tu les envier,
vraiment ?
Dans l’ascenseur, le miroir te renvoie l’image
d’une jeune femme de vingt-six ans,
ni grande ni petite,
ni fille, ni femme,
fine, poitrine haut plantée,
cheveux blonds cendrés, rebelles,
peau unie,
bouche pleine,
regard clair, un peu égaré,
séduisante,
sans doute,
si elle se valait,
si elle se voulait,
tu te regardes, tu te grimaces,
tu te souris.
Tu rentres chez toi,
échos des voisins épanouis,
rares passages de voitures dans la nuit brumeuse,
la nuit sans trêve
règne
déjà, il faut allumer,
puis ranger, encore,
laver tes longs cheveux,
- qu’est-ce qu’il y a ce soir, à la télé ? -
non, d’abord téléphoner,
pour oublier la monotonie
de ce jour pluvieux,
dans la pluvieuse Normandie,
un dimanche de ta jeunesse,
un jour décompté de ta vie,
une vie à changer,
un dimanche
près d’Evreux,
en Normandie.
Thierry Follain
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